Ni la mémoire ni la magie
Dissimulées, mes nombreuses colères reposent dans mon cœur
jusqu’à cette heure, comme semence noire mûrissant au cœur de la pomme,
et je savais depuis toujours, qu’un puissant ange gardien me suivait, glaive en main, un ange qui me protégerait.
Mais quand, veillant, dans une aube sauvage, vous voyez tout votre monde tomber en ruines et en poussière
et que vous devez avancer hébété, fantôme tâtonnant, presque nu,
vos pauvres avoirs abandonnés derrière vous,
alors en votre cœur allégé monteront, un rêve raffiné, un désir humble,
laconique et mûri -
Si encore vous pouvez vous révolter, ce n’est pas contre votre propre détresse
mais pour une douce liberté radieuse, lointaine, pour demain.
Possessions et possessions, je n’en ai jamais eu ni voulu,
je n’ai épargné qu’une pensée d’un instant en cette riche vie : je ne me soucie point de vengeance, mon cœur est libre de fureur,
le monde sera reconstruit, et quand bien même ce temps affreux
ait interdit mes paroles, elles résonneront bientôt sur de nouveaux murs ; seul je dois vivre durant tout le temps ou m’adviens tout cela.
Je ne regarderai pas en arrière, car ni la mémoire ni la magie ne me protégeront des mauvais présages du ciel
et mon ami, si tu me vois encore, détourne-toi, et continue votre chemin.
jadis où se tenait derrière moi un protecteur puissant,
cet ange a peut-être disparu.
Radnóti Miklós. 30 avril 1944
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