La deuxième églogue
Pilote
La nuit dernière, nous avons volé si loin que j’en riais de fureur;
au-dessus leurs chasseurs bourdonnaient comme des essaims d'abeilles voulant engager le combat avec nous avec le feu de défense antiaérienne - Mais, mon ami, à la fin nos nouveaux escadrons apparurent à l'horizon.
Je croyais qu'ils étaient me descendre et me ramasser avec pelle à poussière et brosse mais je suis de retour, voyons ! et demain la lâche Europe pourra se précipiter à nouveau dans les abris antiaériens autant qu’elle le pourra pour me fuir… mais qu'importe, l'ami. Avez-vous écrit depuis hier ?
Poète
Je l’ai fait, que pourrais-je faire d’autre ? Le poète écrit ses lignes, le petit chat miaule et gémit le chiot, le poisson se reproduit pudiquement. J’écris sur tout
alors même que vous devez savoir que tout est combat juste là-haut, et je ne pourrais vivre quand la lune malade injectée de sang titube vers le bas entre les rues en ruines, quand les bombes détruisent la ville,
les murs s’écroulent, les maisons explosent, les places se hérissent dans l'effroi, le souffle vacille, même le ciel est dégoûté par ce qu’il voit,
les bombardiers viennent, obstinés, parfois ils disparaissent pour fondre en un bruit frénétique sur les maisons noyées dans la peur !
J’écris, que pouvais-je faire d’autre… Les poèmes peuvent être malveillants
et dangereux, vous le savez bien, les lignes impaires sont trop capricieuses
pour les mots, exigeant le courage… Le poète écrit ses lignes,
le petit chat miaule et gémit le chiot, le poisson - et ainsi de suite. Je n’y peux pas grand-chose ? Non ! vous vous asseyez et écoutez votre moteur jusqu'à ce que vos tympans éclatent ;
vous ne pouvez même pas m'entendre ! Vous êtes en fusion avec l'avion.
Que ressentirez-vous quand vous nous survolerez à nouveau ?
Pilote
Vous allez rire. Je vole dans la peur… désirant seulement, en haut, toujours plus haut, me coucher sur un lit, les yeux fermés, caressant mon amour.
Ou tout simplement chantonnant en pensant à elle et évoquant une telle scène en rêvant le jour dans le chaos torride de la cantine.
Quand j’en serais capable, je redescendrais ! Là ici, j'ai envie de voler,
sans rien entre moi et ma propre terre et mon ciel.
J'ai grandi aimant beaucoup trop l'avion aussi, je le sais,
Nous avons appris à partager un rythme de douleur depuis si longtemps…
Vous comprenez - et s'il vous plaît… écrivez sur moi ! faites savoir
que moi aussi j'étais un homme : destructeur, sans-abri, seul
au-dessus et en dessous. Qui pourra saisir les causes de mon acte ?.…
Expliquez-moi, ne voulez-vous pas ?
Poète
Si je vis - avec quelques-uns qui ont encore envie de lire.
Radnóti Miklós. 27 avril 1941
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