AUX POETES DU XIX ème SIECLE
Que plus personnes à la légère
N’ose éveiller le chant des cordes !
Celui qui prend la lyre en main
Se charge désormais d’une tache sévère.
Si tu ne viens que pour chanter
Tes seuls plaisirs et tes chagrins,
De toi le monde n’attend rien,
Abandonne le luth sacré.
Nous vivons dans un désert comme jadis
A la tête de son peuple allait Moïse.
Il suivait un guide, par Dieu
Donné, la colonne de feu.
Et Dieu, pour notre temps désigne
Aux poètes, colonnes de feu,
La mission de guider le peuple
Vers la terre de Canaan
O poètes, en avant donc, avec le peuple
A travers flammes et tempêtes !
Que maudit soit celui qui laisse
Retomber le drapeau du peuple.
Maudit soit qui reste en arrière
Dans l’ombre à prendre son repos,
Paresseux ou poltrons, alors
Que tout le peuple sue, qu’il soufre et lutte.
Il y a tous les faux prophètes,
Ceux qui disent malignement
Qu’il faut maintenant qu’on s’arrête
C’est ici la terre promise.
Mensonge vil et tromperie
Que dément la vie sans espoir
De millions brûlés au soleil
Que la soif et la faim torturent.
Quand tous pourront puiser, à parts égales
Dans la corbeille d’abondance ;
Quand tous pourront enfin s’assoir
Égaux, à la table du droit ;
Quand la clarté féconde du savoir
Pénétrera chaque maison,
Nous pourrons alors nous dire : Arrêtons !
C’est ici la terre promise.
Et jusque là ? Jusque là, sans répit,
Poursuivons la lutte acharnée.
Il se peut qu’à tous nos efforts, la vie
Ne donne point leur récompense.
Mais la mort, de son baiser tendre,
Doucement clora nos paupières
Et nous fera glisser dans le sein de la terre
Sur des cordes de fleurs, dans des linceuls de soie.
Petofi Sándor. février 1847
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